Efforts de défense 2013

Les Chiffres

L’analyse

Par Renaud Bellais
Chercheur associé, ENSTA Bretagne (Brest)

Cinq ans après le début de la « grande récession » et de la crise des finances publiques qui en a résulté, nous commençons à percevoir certains impacts sur les dépenses militaires. Même si la défense a été plutôt préservée jusqu’à présent (tout du moins en valeurs courantes), les ressources tendent à se réduire. Ceci conduit à une accélération de la baisse du pouvoir d’achat des forces armées, alors que la situation internationale semble très instable et que les mena-ces apparaissent hétérogènes et omniprésentes.efforts1

Compte tenu des niveaux d’efforts de défense et de leur évolution envisageable sur le reste de la décennie, les pays européens sont confrontés à une situation paradoxale.

A court terme, rien ne montre des signes d’approfondisse-ment de l’Europe de la Défense, alors qu’une mutualisation accrue aurait un effet démulti-plicateur sur les budgets.

A plus long terme, la situation budgétaire rend intenable le modèle industriel actuel, mais les nécessaires évolutions de la base industrielle tardent à se réaliser au-delà des frontières nationales.

Comme nous l’avions supposé ces dernières années, des effets d’hystérèse ont retardé la visibilité des conséquences de la crise sur la défense, mais cette dernière ne pouvait pas être épargnée indéfiniment. La tendance baissière est désormais tout à fait visible, en particulier pour l’Italie et l’Espagne. Il semble que pour beaucoup de pays européens, les dépenses militaires évoluent progressivement vers un niveau « plateau » d’effort autour de 1% du PIB. C’est deux fois moins que l’objectif fixé il y a plus de deux décennies par l’OTAN, qui semble plus inatteignable que jamais.

Certains pourraient considérer que ceci ne constitue pas un problème, car les menaces ne sont ni importantes, ni directes pour les Européens. Rien ne les oblige à faire de l’effort de défense une priorité budgétaire ou même à maintenir un outil de défense important.

Les crises internationales récentes nous prouvent le contraire. De plus, force est de constater que l’effica-cité des dépenses militaires diminue plus rapidement que le niveau d’effort en raison d’effets de seuil qui sont accentués par l’éparpillement des dépenses en Europe. efforts 2

Cette situation a un effet perni-cieux. De fait, les pays euro-péens sont confrontés à une « trappe de pauvreté ». Moins il y a de crédits budgétaires, moins l’effort de défense est efficace en raison d’un sau-poudrage des ressources, qui conduit à une attrition des ca-pacités, et de la difficulté à se projeter dans le long terme conduisant à concentrer les ressources sur les besoins im-médiats. Le meilleur exemple des conséquences de cette trappe de pauvreté est sans aucun doute l’absence de pro-gramme national ou européen de drone MALE en dépit d’un besoin capacitaire criant.

A cet égard, le niveau d’investissement de défense est révélateur. Les pays européens n’ont consacré que 47 milliards d’euros à leurs besoins capacitaires en 2012, c’est-à-dire 3,8 fois moins que les États-Unis. Du fait de l’éparpillement des dépenses militaires en Europe, ce poste budgétaire tend à être fortement impacté par la contraction des ressources. Néanmoins, aucun progrès ne peut être remarqué dans la mise en commun des efforts au niveau européen.

Les indicateurs de l’AED montrent l’ab-sence d’avancées significatives pour accroître l’efficacité de ressources en contraction, à quelques exceptions près comme l’EATC. Ceci accentue les conséquences de la trappe de pauvre-té. Les pays tendent à concentrer les budgets restants dans des approches toujours plus nationales. Ceci rend la situation intenable à moyen terme tant pour les États que pour l’industrie.efforts3

Comme les marchés de défense res-tent essentiellement nationaux, leur taille devient trop restreinte pour assu-rer la survie des entreprises, d’autant que la concurrence devient féroce sur les marchés à l’exportation et que les clients internationaux demandent de plus en plus souvent des transferts de technologies et de production.

Ceci soulève la question de l’efficacité de bases industrielles de défense toujours structurées sur une échelle nationale. Si les États ne sont pas en mesure de mettre en commun leurs ressources ou, au moins, de coopérer avec une gouvernance adéquate, un nouveau modèle industriel devient nécessaire pour assurer la préservation d’une capacité industrielle autonome en Europe. Celui-ci doit aller de pair avec un nouveau modèle capacitaire, que les Etats tardent à conceptualiser, pour faire face aux menaces et aux engagements les plus probables ainsi qu’à leurs capacités financières limitées pour faire la guerre (et pas seulement pour la préparer).

Comme le montre le projet franco-britannique « One MBDA », l’absence d’Europe de la Défense ne peut que pousser les entreprises à s’adapter et à restructurer leurs actifs pour augmenter les économies d’échelle en spécialisant leurs sites à une échelle internationale. Même dans l’armement, il n’y a pas d’autre choix que d’internationaliser les chaînes de valeur industrielles.

C’est certainement ainsi que nous pouvons interpréter l’intensification des échanges transatlantiques. Entre l’Europe et les États-Unis, le commerce de biens intermédiaires sem-ble devenir une dimension clé.efforts 4

La mondialisation des chaînes de valeur a été initiée historiquement au travers des programmes de coopé-ration. L’évolution du marché conduit aujourd’hui à aller au-delà. L’industrie de défense semble être rattrapée par la mondialisation.

Face à cet environnement, relancer la construction de l’Europe de la Défense apparaît donc impératif. Sans une telle impulsion politique, notamment lors du Conseil européen de décembre, il est probable que nous ne pourrons pas surmonter les impasses actuelles et que l’autonomie stratégique des pays européens sera en péril.